Joanne

HARRIS

 
 
 
 
 
 
 

 

Liqueur *

 

 

 

Ma liqueur à la griotte m'est particulièrement demandée ... Tout le secret est dans les noyaux, qu'il faut laisser. Une couche de cerises, une couche de sucre que l'on met les unes par-dessus les autres dans un bocal à large col en arrosant chacune d'alcool limpide (le meilleur est le kirsch mais vous pouvez aussi utiliser de la vodka ou même de l'armagnac) et vous continuez ainsi jusqu'à mi-hauteur du bocal. Vous le remplissez alors d'alcool et vous n'avez plus qu'à attendre. Tous les mois avec soin, vous retournez le bocal pour empêcher le sucre de s'accumuler. Trois ans plus tard, l'alcool a blanchi les cerises. Il en a absorbé le jus cramoisi et a pénétré jusqu'au cœur de la petite amande, à l'intérieur des noyaux. Il a le goût puissant des automnes d'autrefois et leur parfum aussi. On le sert dans de minuscules verres à liqueur qu'on présente avec une petite cuillère pour en sortir la cerise que vous garderez dans la bouche jusqu'à ce que la chair molle du fruit fonde sous votre langue. Alors d'un léger coup de dents vous percez le noyau, vous en libérez la liqueur emprisonnée que vous conservez longtemps en jouant avec elle du bout de votre langue ... Essayez alors de revivre le moment où elle a mûri, cet été-là, et l'automne torride où le puits avait tari, l'époque des nids de guêpes, ce temps passé, ces jours perdus et soudain retrouvés, sous la dure carapace au cœur même du fruit ....

 

Extrait du roman Les cinq quartiers de l'orange, Folio, 2001, p. 22
traduction de l'anglais par Jeannette Short-Payen
*Titre pour la présente édition

 

Submit to FacebookSubmit to Google PlusSubmit to TwitterSubmit to LinkedIn

Informations supplémentaires