Scripta 21

Anne

PAULET

la clé des miracles

le silence de la ville

il aimait le renversement

 

 

 

La clé des miracles

 

Je t’écris d’une serrure. Dans cette smart city, l’architecture se caractérise par un mélange de vestiges antiques, de constructions médiévales, une flopée de maisons cossues des années mille, ersatz des châteaux rutilants, marquant le triomphe de la propriété domaniale du siècle passé. Il y a la diffusion dans ses rues, de toutes sortes de paillettes, de magnifiques villas à la manière Art-Déco, de vieux immeubles au charme désuet. Un peu plus loin, des quartiers bétonnés, proches des zones d'activités grises, des îlots essaimés de panneaux, aux lettres hirsutes. Quelques ronds-points décatis, permettent de passer d'un parking à l'autre. Ces derniers sont souvent entourés d'arbres esseulés, de containers remplis de papiers journaux, de prospectus, et de boîtes de somnifères vides. Dans certaines zones artisanales ou industrielles plus excentrées, est née en quelques années une nouvelle forme de mélancolie méridionale, appliquée à des surfaces carrées, tapissées d'aiguilles de pin, hantées d’un silence inhumain, des bruits de machines et des musiques éructées par des baffles sans oreille. Sur les routes environnantes des chariots de fer passent à vive allure. Dès qu'ils se rapprochent, le volume de leurs décibels augmente, pour diminuer dans leur éloignement, avec une remarquable symétrie acoustique. Un axe stratégique par ailleurs très apprécié par les amateurs de coins. C'est aussi là qu'ont été érigées peu à peu d'autres habitations avec des immeubles et des lotissements. Une zone d'extension somme toute banale. Et c'est par cette banalité-là, par cette anti-campagne là, qu'a commencé la banalisation d'un ban, pour prolonger la saine gestion de la ville. Dans le respect des saintes règles de la construction, et d’une forme de démission, nous dit-on fatales. Elle participe à la préservation d’un prodige architectural que l’on appelait jadis les remparts. Les semelles de mes chaussures frottent l’herbe sèche pour avancer. Près de moi, une femme est assise sur un banc. Un enfant s’acharne sur un poisson à ressorts, puis escalade une construction au péril de sa vie. Le toboggan lui montre la sortie. Il rejoint la femme. Elle lui donne un biscuit. Lui se met à genoux. Elle prie. La chaleur est grande et l’essence des pins s’insinue, suprême, transpirée, se mêlant à d’autres empreintes olfactives. Elle pénètre les peaux de particules odorantes. Je ne sais quoi serait le contenant, ni le contenu intelligent. Le monde m’avait déjà mangé avant que je ne vive.

 

 

Le silence de la ville

 

C’est par la ville qu’il atteint une mémoire sans avoir à la prononcer, ni même à la toucher car elle vient à sa rencontre. Une énorme chape de plomb et de goudron. Parfois il doit se protéger, se recueillir, se concentrer. Impossible de trouver un endroit pour se reposer. Les divisions, les chocs, les rapidités étincelantes sont partout. Dans la rue, les cafés, il y a parfois des sons cristallins, et ceux des intestins quand le ventre de la cité brûle. Des roulements de mécanique se propulsent dans d’obscures stations du doute. Les vapeurs se côtoient. Regards et espoirs se croisent sans vraiment savoir. Une contemplation des êtres, et de leur beauté. Dans les nervures ouvertes déversés dans le fleuve, c'est finalement près d’un mur qu’il trouve le réconfort. Les volumes de vies se mesurant dans le répit, une résistance affirmative d'implantation. Là, il côtoie des surfaces minérales, issues des profondeurs, d’où s’élève l’impression d’un temps, de plusieurs temps qu'ils distillent. Un rappel de la présence égarée d’objets que l’on croyait perdus, ou d’un sujet qui se serait toujours tu, ses contours étonnants. Des scènes, des moments, des déplacements, dans un millimètre détaillé, avec une mixité de perceptions éparses, des esplanades déclassées, des gestes exilés, leur échos imaginaire là, sans qu'ici il ne se passe rien vraiment. Il lui suffit d'une seconde pour éprouver cette trêve de la pensée, la fugacité du sentiment, la résonance des cris d'une paroi vers l'autre. Parfois aussi des moments difficiles. Pour lui, dans cette urbanité, cet ici démultiplié, ces détails isolés, un choix s'opère dans l'immédiateté, rendant son pessimisme caduque, la joie de vivre après sa pâleur. Et dans l'espace, un moteur que plus rien n’effraie mais qui tout considère comme savamment disposé dans un désordre apparent dont il aurait gardé la clé aux tréfonds de ses entrailles nubiles.

 

 

Il aimait le renversement

 

Il aimait le renversement, l'éloignement, le repos sur des rochers inclinés, la contemplation des détails des murs, des parterres sans fin qu'il parcourait, et qu'il adorait aussi quitter, de façon imprévisible. C'était un romantique inqualifiable. On eut beau le passer à la machine à laver du positivisme le plus strict, au jet puissant du réalisme, au savon de l'académie, à l'acide de l'utilitarisme, l'exposer longuement aux éclairages des intenses lumières, rien n'y faisait. C'était une véritable sinécure, un tempérament inaliénable qui avait glissé en lui d'un siècle sur l'autre, on ne sut jamais trop comment. Il s'en accommodait et tentait d'en faire autre chose dans un siècle où ce tempérament était pour le moins déplacé, et parfois même difficile à vivre. Il se disait fragmentateur de mots, sonneur de plafond en altitude changeante, sismographe, mangeur de nuages. Celui d'un temps qu'il fait, et d'un autre qui passe. Son moral même en plein réchauffement variait en fonction des saisons. C'était un haut-parleur de l’aphonie en faune urbaine. Volant entre les graves ; émiettant les aigus... Il est des moments critiques, quand l'eau vient à manquer, durant lesquels la société s'ouvre plus volontiers aux idéalistes afin de panser ses plaies, et recouvrer un peu de sensibilité. Mais une fois que les affaires reprennent, on les range soigneusement dans une boîte dans laquelle ils sont autorisés à se promener. De préférence dans les jardins du temps, là où poussent les mythes et les légendes, les symboles et des géométries orgueilleuses ! Et puis à la prochaine crise, hop ! Ils ressortent avec leurs nouveaux costumes !

Submit to FacebookSubmit to Google PlusSubmit to TwitterSubmit to LinkedIn

Informations supplémentaires