Ada

 

TELLER

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Le repli


Après maintes péripéties, Adam et Eve, nus, se tenaient par la main, seuls, dans leur Paradis. L'entaille latérale d'Adam se mit à s'ouvrir et l'ouverture à s'agrandir et Eve fut comme aspirée vers l'intérieur où elle se convertit en côte d'Adam. Se sentant sans doute très seul, Adam se figea en statue sans souffle et sans vie, puis sans image ni ressemblance quand, aussitôt réduit en poussière, il se confondit définitivement avec la terre dont il avait été fait. Et c'est ainsi qu'il n'y eut plus personne humaine pour admirer la mer avec ses poissons ni la terre avec ses jardins. Le serpent prit sa queue entre ses mâchoires et se dévora, quand les animaux de toutes espèces retournaient eux aussi dans leur néant ; la pluie remontait vers les nuages alors que les rivières coulaient à l'envers et rentraient dans des sources inaccessibles d'inexistence où elles se mettaient à inexister ; les fruits mûrs devenaient verts et se réduisaient jusqu'à devenir fleurs et les fleurs avec leurs parfums se réabsorbaient en bourgeons alors que les arbres et les plantes qui les portaient rapetissaient et se faisaient de la taille de l'herbe pour s'enfouir tous ensemble sous le sol. Les symphonies retournaient à leurs instruments dans les gorges des oiseaux qui volaient en arrière, dépeuplant le ciel où manquaient déjà toutes les étoiles, en même temps que, sur la terre, les eaux, qui couvraient le tout, disparaissaient comme centrifugées, laissant un vide de consistance, de formes, d'odeurs, et d'échos. Enfin dans la durée qui finissait de se détricoter, l'horizon se rétracta, et le temps, sans périodes ni saisons, cessa de passer même à l'envers pour se mettre simplement à flotter sur l'indistinction du jour et de la nuit, du ciel et de la terre, en absence non seulement de la lune et du soleil, mais de l'essence même de la lumière, emportée dans la fuite de l'ange des commencements.

 

 

Manga

 

Quand les créatures Kazumi Ko de la taille d'une main survolent en nuée la métropole avec leurs jupettes gracieuses, leurs cheveux roux en coupe asymétrique et leurs ombrelles à rayures noires et blanches assorties à celles de leurs chaussettes, les fenêtres des grands immeubles se peuplent de curieux, les automobiles et les autobus s'arrêtent pour les voir passer et les agents de la circulation ne savent plus quoi faire ; elles arrivent par les banlieues en faisant étape dans les parkings des supermarchés ; debout ou assises sur les capots des voitures, elles font pousser des arbres sur le ciment en ouvrant et fermant leurs ombrelles ; éblouis que nous sommes par la démesure de leurs yeux, nous oublierions presque nos chariots débordant de denrées ; mais bien vite les petites créatures s'en vont vers le centre et les statues des rois à cheval dans les parcs et les jardins les suivent de leurs regards devenus vivants ; puis, elles se posent en désordre n'importe où : sur les balustrades et les balcons, sur le rebord des fontaines monumentales, sur les feux rouges affolés, sur les taxis à l'arrêt, sur les enseignes du train métro, sur les bicyclettes d'emprunt en alignement attachées à leurs bornes, sur les bornes aussi, sur les mandarines et les artichauts des étals des marchands de fruits et de légumes, sur les corniches des hôtels de touristes et leurs restaurants et sur les tables des cafés, sur les gargouilles de la cathédrale et sur les ponts et péniches ; on en trouve jusque dans les habitacles en haut des grues, sur les marches des stades, sur les gratte-ciel, sur la grande roue, sur les frontispices des écoles et universités, mairies et ministères et même sur les grilles à dorures du palais présidentiel avec son président ébaubi à la fenêtre. Tout cela ne dure jamais bien longtemps, mais il reste des réverbérations inédites dans l'air lorsque les créatures Kazumi Ko s'envolent de la métropole avec leurs ombrelles à rayures régulières noires et blanches assorties à leurs chaussettes.

 

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