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- Mis à jour le samedi 23 septembre 2023 07:00
- Publié le vendredi 18 juin 2021 09:02
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Michel CASTANIER |
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d’Arlette
Arlette, qui a très mauvaise réputation n’y est pour rien. A la moindre émotion, très nerveuse, la réceptionniste saute : un effleurement de la main et on la retrouve posée sur le palmier dans le patio des bureaux, un bisou sur la joue on la récupère effarée dans le placard des factures si on a de la chance, parfois perchée sur la photocopieuse, intacte et ahurie, ou bien à califourchon sur l’armoire des recouvrements, l’air effarouchée, ses narines palpitant, le regard noyé sous ses paupières enflées comme des cloques par la volupté. Elle n’a pas le moindre bon sens. En amour, ne vous y risquez pas, Arlette est si fragile, il n’est personne pour oser l’approcher, cette sensitive au tempérament de midinette, à peine le nez dans un hebdomadaire people à la cafétéria, entre en consomption, un serrement de main elle se brise, un mot gentil elle en meurt. Arlette apparaît ; réapparaît ; elle s’y perd, elle vous perd, ce sont des gambits du cœur inoffensifs, elle a même une présence simultanée en plusieurs lieux, jamais très loin, elle s’échange, elle roque, ce sont des gambles, de petits coups hasardés sur un territoire finalement assez modeste mais qui lui suffit : une sorte de Carte du Tendre, son cœur, une géographie délicate où elle va de Tendre-sur-Estime à Tendre-sur-Reconnaissance en suivant Inclination, fleuve au cours intranquille. Peu d’êtres ont la vie intérieure d’Arlette Bergeron, la Femme-grenouille, originaire de l’Euphrate aux grands crocodiles.
Se tenir, l’esprit en arrêt comme un chien de chasse – et voici qu’elle passe, tête haute et morose, elle passe et disparaît derrière les fontaines de la Concorde : rien que de naturel puisque, justement, elle passe, mais ne reparaît plus et bientôt il y a de quoi s’étonner. Elle n’est pas du genre cache-cache, même si elle a parfois des frémissements de fillette si fragile, si légère : peut-être, poussée par un courant d’air, a-t-elle franchi des distances incalculables ? Courir vers l’emplacement qu’elle devrait occuper derrière le rideau des eaux, n’y trouver rien, aller jusqu’à tapoter du bout des doigts les statues de la Navigation fluviale ? Non, elles ne sont pas creuses, n’ouvrant aucune porte dérobée pour elle seule, afin d’abriter son côté fantôme et finalement lever la tête dans l’espoir qu’elle ait escaladé une des fontaines aux doigts d’eaux et se soit assise au sommet, rieuse, les cuisses trempées. D’ailleurs elle rit peu, ne sait même pas rire, et je suis seul. Ou plutôt nous sommes seuls, l’inextinguible fontaine et moi. C’était une fois, autrefois. Aujourd’hui, mes Mille et une Vies sous le bras, quittant le Café Carré, devant la Maison Carrée*, auguste monument romain, je vois parfois la Femme-fontaine sur un banc public ruisseler dans une tendre animation auprès d’un inconnu.
* La Maison carrée : nom donné depuis le XVIe siècle au temple construit sous le règne de l'empereur romain Auguste (entre 10 avant J.-C. et 4 après J.-C.) dans la colonie de Nemausus, actuelle ville de Nîmes. Inspiré par les temples d'Apollon et de Mars Ultor à Rome, la Maison Carrée est le seul temple du monde antique complètement conservé. (Note de l'éditeur)
Ces deux amoureux à une terrasse méditerranéenne, ne semblent pas tout à fait de ce monde. Ils sont beaux. Est-ce un couple d’aristocrates que le peuple n’aurait osé décapiter – à peine là, très songeur ? Les approcher donne au commun des mortels l’impression d’accéder au socle où se tient leur rêveuse divinité. Ils vous accueillent en souriant, il n’y a aucune condescendance en eux, ils écoutent dans une grande attention ce qui ne peut être que doléances et ils consentent gentiment à toucher vos douleurs du bout de leurs longs doigts. Vous les quittez sur une bénédiction et ils retournent à leur aparté dans une langue incompréhensible. En fait, vous ne les quittez jamais tout à fait, il en demeure le souvenir d’une vie possible, d’une vie meilleure.
Nous avions accompagné Alexander sous les fenêtres de son amie Céleste, la divine couturière, d’où il avait l’intention de déclamer une petite poésie très méditée, non sans se munir d’un banjo, d’un chapeau pointu à large bord avec des clochettes et de cymbales à ses chevilles.
Ma bien aimée très chère et très chérie
Zim boum !
L'affection, la douceur, l'attention, le respect, la drôlerie, la douce folie,
Zim boum !
elle est ma sœur, mon âme sœur, ma fille, ma mère, ma chienne, mon totem.
Zim boum !
Tout notre comportement nos réactions nos angoisses nos tristesses nos rires tout dit l'amour
Zim boum !
Même notre chasteté, s’il y avait lieu.
Zim boum boum !
Si aucune lumière n’apparut à la fenêtre de Céleste, probablement cachée sous sa couette, frissonnante, les mains sur ses jolies oreilles, je n’en dirai pas autant des appartements voisins de celui de Céleste et de la quantité d’eau que peuvent déverser dans une rue les seaux, les casseroles, la jalousie, la folie et l’absence de tout bon sens.
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