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- Mis à jour le dimanche 25 décembre 2022 10:03
- Publié le lundi 25 novembre 2013 15:55
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Jean-Paul
GIRAUX |
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Il faut qu'un parapluie soit ouvert ou fermé.
Fermé, il attend patiemment dans l'oubli de quelque coin obscur, replié sur lui-même et cachant sa vraie nature sous un air toujours emprunté ou perdu.
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Il est de l'étoffe de ceux que l'inaction dessèche et racornit.
Ouvert il a ‒ fort heureusement ! ‒ bientôt fait de se recomposer en tendant toute son énergie. On le voit alors sortir de partout front baissé contre l'averse, puis se hâter sur les trottoirs, porté par deux pieds qui pataugent, ou bien encore se rassembler dans les cimetières pour pleurer autour des tombes.
Mais qu'on y prenne garde! Cette activité et cette sentimentalité débordantes n'en font pas pour autant un compagnon fiable en toute circonstance.
Comme le ciel, il est d'humeur souvent capricieuse.
Et chacun pourra le vérifier à ses dépens: il n'y a guère que la veste des hommes politiques pour se retourner plus facilement qu'un parapluie par gros temps.
Le chimpanzé de Rio, Editinter 2009.
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Il aime qu'on lui tape dessus.
Il a la tête bien faite pour ça, ronde ou plate comme celle d'un petit homme. Sa nature le veut ainsi et, en principe, il retire quelques satisfactions à s'y conformer.
En fait, inutile de se le cacher, le clou n'est pas pour autant facile à vivre. Son inflexibilité apparente ne lui interdit nullement un comportement trop souvent retors que les observateurs les mieux disposés attribuent à un caractère foncièrement ombrageux.
Une hésitation, un coup mal asséné, retenu ou biaisé, et le voilà sous nos yeux qui se plie et s'effondre en feignant la douleur comme un footballeur se laissant tomber dans les dix-huit mètres à la recherche d'un penalty.
Dans un corps droit, un esprit tordu !
Le chimpanzé de Rio, Editinter 2009
Nostalgies
J'adore voyager en TGV. L'autre jour, le mien s'est arrêté en pleine campagne, sans raison évidente, sinon pour le plaisir.
Le conducteur est aussitôt descendu pour aller le pousser, à en juger par la vitesse à laquelle on est reparti.
Ce fut le bonheur ! En fermant les yeux, on pouvait se croire dans un train d'autrefois sentant le saucisson et le camembert et qui, avec une sage lenteur, déroulait ses paysages monotones devant de hautes et larges fenêtres.
A Bourg-en-Bresse, où nous avons fini malheureusement par arriver, une pluie glacée nous attendait et nous avons attendu avec elle, bien conscients que le TGV avait, pour cette fois, épuisé ses enchantements.
Alors, on nous a fait entasser nos nostalgies sur les douloureuses banquettes d'un train de remplacement prêté par un collectionneur. Mais le cœur n'y était plus et nous sommes arrivés à Genève avec seulement une heure de retard.
Et du soleil.
Dites-moi, du progrès, quels sont exactement les symptômes ?
Le chimpanzé de Rio, Editinter 2009
Les anglais
Wembley, le 10 férier 1999
Angleterre : 0 - France : 2
On me le reproche quelquefois : j'ai un souci maladif de l'objectivité.
Par exemple, sous la torture, un revolver sur la tempe ou devant un peloton d'exécution, rien ne m'empêchera de reconnaître que les Anglais sont les rois de la marmelade d'orange, les champions du monde toutes catégories de cette spécialité.
Eux seuls, je le proclame, savent lui conférer cette amertume aristocratique propre à satisfaire les palais les plus exigeants, les papilles les plus délicates. Et quand, au hasard d'une dégustation, je rencontre un zeste d'orange délicieusement confit, je sais que les Anglais élèvent leur pratique aux limites célestes d'un art.
Évidemment, ce n'est pas comme au football où ils viennent de se faire battre à Wembley par l'équipe de France sur un score humiliant et sans appel.
A cette occasion, on aura raison de parler de déconfiture.
Le chimpanzé de Rio, Editinter 2009
Samarkand
Au risque de vous décevoir, il me faut bien admettre aujourd'hui que je ne suis jamais allé à Samarkand.
J'en avais les moyens et j'aurais pu trouver, en dépit des distances, un possible créneau dans mon emploi du temps.
Il s'agit quand même, ne l'oubliez pas, de la ville de Tamerlan, le célèbre boiteux au coeur de fer, et Omar Khayyâm y séjourna. Cela m'aurait fait des souvenirs et j'aurais même pu écrire, au retour, des vers presque aussi ennuyeux que ceux de votre cher Edgar Allan Poe.
Mais pourquoi irais-je marcher dans les ornières dépourvues d'eau de cette ville où il ne pleut pas, me mêler de son délabrement, longer les murs tagués de ses usines, respirer ses fumées âcres?
Alors que je peux rêver de Samarkand sur la seule beauté de son nom.
Le chimpanzé de Rio, Editinter 2009
Le vieux poirier
à Paul