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- Mis à jour le dimanche 25 décembre 2022 10:00
- Publié le dimanche 10 janvier 2021 16:35
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Bernard FRIOT |
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Le TGV Brest-Paris, un mardi matin, quelques minutes avant l’accident. Six minutes et vingt-deux secondes exactement. Personne ne se doute de rien, évidemment, pas plus en première classe qu’en seconde. Ils sont deux cent soixante et un passagers (ou bien : ils étaient ?). Cent vingt et un vont mourir. Trente deux seront blessés, dont dix-neuf très gravement. Et aucun, aucun ne le sait. Voiture 1, Mme Delavaut remplit les cases d’une grille de mots croisés. Jamais elle ne trouvera la solution du 4 horizontal (« Douceur autrichienne » en sept lettres). Luc Bontemps regarde un western sur l’écran de son ordinateur portable. Il n’en pas verra la fin (en réalité, il a déjà vu le film, il y a une vingtaine d’années, mais il ne s’en souvient pas). Aurélie Valaire tricote un pull pour son petit garçon. Qui ne le portera jamais. Voiture 2, Selim Benacer crayonne un modèle de robe du soir sur son carnet de croquis. Lise Dorval, la partition étalée sur ses genoux, mémorise le rôle de Blanche du Dialogue des Carmélites. A voix basse, Catherine Delgado lit une histoire de Roald Dahl à ses petites filles, Carmen et Jeanne. Et tous les autres. Huit voitures. Deux cent soixante et un passagers. Ils et elles ne s’en doutent pas, mais dans quelques minutes, ce sera l’accident. Un déraillement provoqué par un rocher sur la voie. La tête de train percutera les pilastres d’un pont. Les derniers wagons s’encastreront dans les premiers. Tôles froissées, arrachées. Corps écrasés, déchiquetés. La mort. Cent vingt et une fois. La mort. Peut-être. Certainement. Ça dépend. Il reste quelques dizaines de secondes avant l’accident. Rien n’est écrit définitivement. Quelque chose peut encore arriver. Arrêter le compte à rebours : dix-huit, dix-sept, seize, quinze… Peut-être. Peut-être pas. |
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A Céline Il y a un pommier dans mon salon, et tout va bien. Il est apparu il y a deux ans, tenez, le jour même où Roland, mon mari, a disparu. Mon cousin Jean-Paul venait tout juste d’enlever le carrelage et de casser la chape de béton, je me souviens. Il voulait en couler une autre avant de poser le parquet. Ça, c’était mon idée, le parquet, j’en avais marre de ces carreaux marron foncé. Depuis, il a poussé, le pommier. C’est vrai aussi que mon salon est très éclairé. Avec les baies vitrées sur trois côtés, il ressemble plutôt à un jardin d’hiver. Le pommier s’est bien acclimaté, en tout cas, il a grandi, et moi, eh bien, je m’y suis attachée. Pensez, depuis que Roland est parti, il me tient compagnie. Au bout d’un an, il faisait près d’un mètre. Jean-Paul n’en revenait pas. – On dirait qu’il pousse sur du fumier, ce pommier, qu’il a fait. – Peut-être bien, j’ai dit, peut-être bien. Jean-Paul a construit un muret en briques tout autour, pas haut, vingt centimètres à peine, et ça fait rudement bien dans le salon. J’approche mon fauteuil du pommier, je pose ma tasse de tisane sur le muret, et on fait la conversation tous les deux, le pommier et moi. Oui, oui, il n’y a pas de quoi rire : je lui parle et il m’écoute. Pas comme Roland qui roupillait dès que je lui adressais la parole. Et après, il se réveillait en sursaut en grognant : « Quoi ? Quoi ? C’est à moi que tu causes ? » Mais il a disparu, Roland. Comme ça, du jour au lendemain, pftt, envolé. Bizarre, non ? Les gendarmes ont fait une enquête. Ils ont même fouillé la maison du haut en bas. Trois fois. Allez savoir pourquoi. Souvent la Jeanne, qui est vieille fille, me demande : – Tu te sens pas seule, des fois ? Ben non, j’ai mon pommier. Je le regarde grandir, et ça me suffit. Un jour, il aura des pommes. J’aurai juste à tendre la main pour les cueillir. – C’est le destin, je réponds à la Jeanne. C’est vrai, c’est le destin. Sauf que, parfois, il faut l’aider, le destin. Et planter des arbres.
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