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- Mis à jour le jeudi 15 août 2024 07:19
- Publié le vendredi 31 mars 2017 07:24
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Patricio
SANCHEZ-ROJAS |
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Te souviens-tu de Temuco? C’était là que t’attendait un train à vapeur. Le brouillard... L’odeur du bois. D’où jaillissaient des arbres sans visage. Une pluie invisible. Et puis, ce train immobile au milieu d’un nuage couleur de marbre. C’était la fumée qui traversait les Andes. Un gouffre de silence. Des bruits métalliques. Un sifflement. La vapeur. L’espace. Et cette locomotive dans l’abîme de ta mémoire. Pendant qu’une rivière scintillait tel un serpent de feu.
Peuples fantômes, vers ces montagnes de sel et d’or nous marchons sur le sable brûlant, aveuglés par l’horizon incertain, sur des tombes sans nom, le silence que le vent balaie avec ses mains éphémères, le miroir du soleil enterré comme un arbre sous nos pieds : des tombes sans nom, nous allons sans savoir où aller, imprégnés de sueur par l’absence d’un visage et des yeux, seul le sable, par des chemins inconnus, le désert, ce désert, cet océan de cactus et de poussière où la vie s’apparente à la mort, - paupière indescriptible-, une porte grinçante à l’aurore, lorsque l’unique invité est le vent, les traces que nos pieds dessinent en s’effaçant imperceptiblement sur le sable chilien, dans des bourgades habitées à jamais par le silence assourdissant du tatou.
Personne dans la rivière où les hommes sans espoir cherchent leurs yeux de jade. Tout est à reconstruire dans ce village du Nord. Les arbres gisent par terre et le puits est tari à jamais à cause de la sécheresse. La poussière a pris possession du chemin qui mène aux mines d’or. Seul un fil de fer nous surprend avec ses pinces incolores et son linge encore blanchi. Le vent monotone fait grincer une porte en bois condamnée au silence. Nous voudrions voir le ciel étoilé et les comètes s’écraser contre les montagnes lointaines. Les pierres endormies ressemblent parfois à des poissons éventrés, sans musique, lorsque la terre tremble sous nos pieds de fumée.
Nous ne reverrons plus jamais ces paysages où l’homme respire la poussière dans ses poumons en forme de roc. Les geysers éternuent dans l’éternité de ces montagnes. L’ornithorynque nous trace le chemin.
C’est la nuit dans la ville la plus australe du monde. L’araucaria médite près de la rivière, tandis que j’entends passer le train sous ces arbres où le vent balaie le visage du colibri. Je suis donc l’arbre qui prend la forme d’un volcan. Mon langage s’enracine à la cendre de ces montagnes enneigées. Cependant, le cheval scrute mes traces. Le queltehue se réveille abruptement et son élan m’offre la lumière. Miroir que la nuit transforme en éclats, car c’est ici que m’attendent mes ancêtres. Je marche donc, sur les pas de mon grand-père, sous ces arbres en silence, tous mouillés par la pluie infinie de l’hiver.