la lettre

récit-page

 

septembre 2024

 

 

Le récit-page au
ciha 2024

 juin 2024

 

 Formé à Vienne en 1873, le Comité International d’Histoire de l’Art (CIHA) organise depuis presque un siècle un congrès quadriennal, avec pour vocation de dresser un état des lieux de la création artistique dans le monde.

Après São Paulo en 2020 et avant Washington en 2028, c’est la France qui accueillait au mois de juin la session 2024, dans le décor idéal du Centre de Congrès de Lyon, avec comme thème général Matière et Matérialité.

Près de deux mille personnes ont assisté à la cérémonie d’ouverture et pas moins de huit cents intervenants de soixante-dix pays y ont participé, parmi lesquels des représentants des plus grands musées du monde (dont Pierre Rosenberg pour le Louvre), ainsi que des mécènes, conservateurs,  restaurateurs, collectionneurs, artistes, universitaires,  chercheurs, archéologues, cinéastes, écoles d’art et éditeurs spécialisés. Un Salon du livre d’art a accompagné l’évènement et pour l’occasion les musées de la ville ont tenu portes ouvertes.

L’aventure éditoriale récit-page a eu l’honneur d’être accueillie au sein de cette manifestation. Or, dans la mesure où la thématique annonce la matière et la matérialité dans l’art et qu’en conséquence ce sont les arts visuels qui semblent visés, la question se pose : pourquoi le littéraire ?

 On peut en effet s’étonner : non seulement une place a été faite à la littérature, mais c’est un romancier et non pas un plasticien qui a été mis à l’honneur et qui a marqué de sa présence cet évènement : l’écrivain turc Orhan Pamuk (1952), prix Nobel de littérature (2006). C’est son roman Le musée de l’Innocence (2008, traduction Gallimard 2011), qui devrait permettre de comprendre la pertinence de ce choix, le mot musée étant naturellement la clé d’accès à cette élucidation.

 De quel musée nous parle ce roman mis en exergue du congrès ?

Au départ, sur fond de la ville d’Istanbul et des plus divers aspects de la vie et de la société stambouliotes des années 70 à 90, une histoire d’amour entre un beau nanti et une énigmatique petite vendeuse, où alternent, au long de plus de huit-cents pages, ravissements et tourments, vraies ruptures et fausses retrouvailles, avec cette particularité : l’amant éperdu entretient un culte fétichiste à l’égard de tout objet participant de près ou de loin aux aléas de cet amour. D’où résulte une accumulation sans cesse grandissante d’éléments hétéroclites, que le collectionneur obsessionnel juge digne, au bout d’un moment, d’un lieu d’exposition et de conservation. Vingt ans et quatre-vingt-deux chapitres après la première rencontre, tout est prêt pour que voie le jour le musée de l’Innocence (pourquoi innocence ?). Mais puisqu’on ne comprendra pas ce musée sans en connaître l’histoire, son créateur, aussi fortuné que déterminé, fait appel pour la raconter à un écrivain en vogue, l’une de ses nombreuses connaissances mondaines, l’auteur Orhan Pamuk, lui-même épris secrètement dans sa jeunesse de la petite vendeuse.

Rédigé à la première personne, le récit met en place un dispositif fort complexe de masques et  miroirs, d’enchâssements et de mises en abyme. Jusqu’au point où, sortant de la fiction, l’écrivain entreprend de reproduire dans la réalité matérielle et palpable le musée de son livre. Et c’est ainsi que depuis 2012, telle une émanation du roman, on peut visiter un très physique, tangible et visible musée de l’Innocence, situé au n°2 de la rue Çukurcuma, à Istanbul.

Si le lien de continuité qui marie l’immatériel de l’écriture avec la matérialité voulue par la thématique du congrès semble établi, la question reste ouverte : œuvre majeure ou curiosité littéraire ?

 

Dans le cadre restreint du panel Écriture et image (le seul francophone !) les liens entre l’écrit et le visuel ont été abordés plus traditionnellement, à la lumière des formes hybrides que sont l’illustration, l’idéogramme, le calligramme, le livre d’art, le dessin ou la photographie dialogués, l’art du phylactère, la typographie d’art, le graffiti, la publicité, la propagande …

La contribution de l’aventure éditoriale récit-page s’est inscrite en quelque sorte à contre-courant de telles approches en associant l’écrit au visuel et à l’image dans un sens spécifique : comme l’impact  figuratif de l’écrit, comme la réception ou la décantation imagée de la phrase.

Si la recherche d’images à travers les mots est une constante de la littérature – prose ou poésie –  il y a un domaine où cette recherche s’impose avec force de nécessité : celui de la forme brève, dont le récit-page est une modalité. Dans l’espace confiné qui est le sien, l’espace de la page unique, privé de trame, de description, de détails et de développement, il tire sa force des raccourcis suggestifs qu’il se donne et bien souvent du visuel qu’il projette et que l’exemple ci-dessous illustre mieux que ne le ferait une longue description.

 

Trompe l’œil
Technique mixte
61×46 cm
Signé de l’artiste

 

Voici la nuit dans le tableau, et la lune est personnellement descendue sur la toile à sa suite.

– C'est amusant.

Les mains aux creux des reins, la lune regarde tendrement ses fesses dans le miroir du lac.

– Qu’avez-vous à me suivre partout ?

Un grand remous d’eau...

Une tête émerge avec un nénuphar sur les cheveux, posé comme un béret.

– Je suis le peintre.

Le peintre veut sortir du lac, il veut même sortir du tableau, glisse, luge, culbute, glougloute, monte épuisé sur la rive.

Il subit alors une activité sans précédent et qui n’aura pas d’équivalent. La lune l’embrasse profondément par circonvolutions consciencieuses de sa langue humide.

– Vous ne plongerez plus dans mon reflet ?

– Si.

Odéon

 

Cette douce déraison imbrique d’une façon toute particulière le monde de la phrase et celui de l’image. On a moins lu, que vu ce qui y est dit. Si le genre récit-page admet une totale liberté de création et des registres fort divers, allant du léger au grave, du poétique au narratif, du réel à la fantaisie, dans tous les cas une audace créative qui se résout en image est le mieux qui puisse lui arriver. Le concept invite à faire face à la page blanche comme si elle était une toile, et au langage comme s’il s’agissait d’un matériau.

Voici, pour l’essentiel, le message du petit récit dans un grand Congrès.

 

Quelques moments

Centre de Congrès, Lyon

 

 

Séance d’ouverture

Orhan Pamuk, autour du roman Le musée de l’Innocence

 

Pierre Rosenberg, conférence au musée des Beaux- Arts de Lyon

 

 Salon du livre

 

 Ada Teller pour le récit-page

 Quelques liens

 

  

 

 

Informations supplémentaires