André Gide

André

GIDE

 
 
 
 
 
 
 

 

 Marais !*

 

 

 J’ai traversé de grandes landes, de vastes plaines, d’interminables étendues ; même en les collines très basses, la terre à peine soulevée y semblait encore endormie. J’aime errer au bord des tourbières ; des sentiers y sont faits où la terre tassée, moins spongieuse, est plus solide. Partout ailleurs le terrain cède et sous les pieds l’amas des mousses s’enfonce ; pleines d’eau les mousses sont molles ; des drainages secrets, par places, les assèchent ; il pousse alors dessus de la bruyère et une espèce de pin trapu ; il y rampe des lycopodes ; et l’eau par places est cantonnée en flaques brunes et croupies. J’habite les bas-fonds et ne songe pas trop à me hisser sur les collines, d’où je sais bien qu’on ne verrait rien d’autre. Je ne regarde pas au loin, bien que le ciel trouble ait son charme.

 

Parfois, à la surface des eaux croupies, s’étale une irisation merveilleuse, et les papillons les plus beaux n’ont rien de pareil sur leurs ailes ; la pellicule qui s’y diapre est formée de matières décomposées. Sur les étangs, la nuit éveille des phosphorescences, et les feux des marais qui s’élèvent semblent celles-là mêmes sublimées.

 

Marais ! qui donc raconterait vos charmes ?

 

Extrait de Paludes, 1895

*Titre pour la présente édition

 

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