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Miguel Angel SEVILLA
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Des micro récits mais non quant au contenu, me dit-il, non, pas du tout quant au contenu. On était dans un bar de Tessy, on entendait couler la Vire et le silence planer comme un oiseau.
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On voyait une longue rue se perdre dans l’espace, vers Saint-Lô. On voyait aussi les marches en pierre qui mènent à la vieille église, la devanture verte de la pharmacie, et sur le trottoir de la fleuriste il y avait des fleurs.
La personne qui me parlait – je prenais un café au comptoir d’un bar – disait que, dans un micro récit, le contenu se masse sous les mots et qu’ils ont la dimension d’une poignée de main.
Et aussitôt dit aussitôt fait, il me serra la main et me quitta pour aller écrire, me dit-il une nouvelle fois, des micro récits.
Il était près de midi, le soleil allait briller et aussitôt se recouvrait, le vent sifflait des gouttes de pluie grises, puis des gouttes brillantes.
A midi passa, entre l’ombre et la lumière, une fille de la mer et du soleil ; je la regardais pendant longtemps et soudainement elle disparut.
A ce moment, je ne sais pas pourquoi, j’ai regardé le fond de ma tasse de café, et j’ai vu qu’elle était vide.
Tessy-sur-Vire, 2010
Un homme s’approche, je venais par le chemin de halage, en fait il sortait de la Vire, il était couvert de vase et d’herbes vertes de la couleur des algues.
Il me dit bonjour etc., avec la main droite il écarte la fange qu’il avait devant les yeux.
Il m’a dit qu’il était de «ces ombres» dont parle Samuel Beckett dans un poème, de ces «ombres de la Vire» ; qu’il faisait partie de ces ombres que la Vire «charrie», comme l’écrivit Samuel Beckett quand il était ambulancier à l’hôpital irlandais de Saint Lô, à la fin de la deuxième guerre.
Il m’a dit qu’il avait des enfants, qu’il ne rentre plus en Floride dont il est originaire, et qu’il reste par ici, qu’il nage la nuit et que le jour il se repose, et qu’au fond du fleuve la vase est suave et douce, qu’elle ressemble à la peau des femmes tendres.
L’eau, l’autre et la guerre -Editions Usine Utopik, 2012
Un homme avance, je ne sais pas si c’est un survivant de la dernière guerre, âgé et jeune en même temps, comme si la guerre abolissait l’espace et la durée, et que cet homme marchait constamment par les rues de Tessy-sur-Vire.
En fait il va chercher du pain, en fait il porte une mitraillette, en fait il a la tête ensanglantée.
C’est un homme Noir si je me fie à sa démarche, c’est un homme comme tous les hommes si je me fie au rouge de son sang. Il porte à la poitrine une fleur rouge, on l’a visé en plein cœur, il porte un bandeau taché de sang autour de la tête, il trébuche et tombe, il est en pleine forme et va chercher du pain.
L’eau, l’autre et la guerre -Editions Usine Utopik, 2012
Je ne connais pas le nom des arbres, je suis comme un aveugle qui traverse un paysage, je ne sais pas comment les nommer.
Heureusement il y a le fleuve, je peux le nommer, les arbres se reflètent dans les eaux de la Vire, là je peux les nommer et partir dans le langage.
M’enfoncer, sinon dans le paysage, tout au moins dans l’eau et ses reflets, via le langage, à travers lui et disparaître.
Restent les arbres si beaux toujours debout, pas dissous dans l’eau où je suis dissous, debout comme des grandes sentinelles de ce pays normand. Est-ce que quelqu’un les chante, est-ce que quelqu’un un jour me dira leurs noms?
Je leur dis «Adieu, hommes» ! Et je sais qu’ils m’entendent, et qu’ils m’attendent et me disent Au revoir.
A bientôt, voilà ce que murmure ma voix de l’autre rive, où je suis parmi les vivants, comme les arbres se dessinent sur le miroir ondoyant de ce fleuve côtier.
L’eau, l’autre et la guerre -Editions Usine Utopik, 2012
La Vire bouge à peine – c’est beau de noter ça dans le matin ensoleillé.
Le soldat de la dernière guerre est aujourd’hui resté dans la vase, peut-être qu’il est seul, peut-être ne l’est-il pas, peut-être qu’un autre l’accompagne, un autre ou plusieurs.
Samuel Beckett, quand il parlait en 1945 des «ombres que la Vire charrie» semblait désespéré. «Le crâne de la mort», disait-il, avalera tout un jour ou l’autre, et avec ce tout les formes successives que nous fûmes. O fiume des douleurs! (1).
Venu beaucoup plus tard et d’un autre continent, ne connaissant pas la guerre, il m’est facile de regarder et d’aimer ces champs que la Vire traverse. Et d’entendre le chant des oiseaux, d’y prendre du plaisir. Et de parler d’un soldat qui gît dans la vase, un soldat que je n’ai pas connu. Et, aussi, également, de voir et de parler des lianes qui tombent d’un arbre sur la Vire, comme les cheveux longs d’une femme libre.
J’ai beau jeu en somme de vivre et recevoir, à la façon des arbres, le vent et la lumière.
1. Fiume : fleuve en Italien.
L’eau, l’autre et la guerre -Editions Usine Utopik, 2012
A Tessy-sur-Vire, pendant l’occupation allemande –Tessy a été libéré le 2 août 1944 –, un homme, ou un jeune homme, a pris ou a volé, comme on voudra, pour moi en fait il a récupéré, un paquet de cigarettes d’un camion de l’occupant. Une dame, à la bibliothèque de Tessy, m’a raconté que des soldats allemands se sont saisis de l’homme, ou du jeune homme, ou du père de famille et l’ont jeté dans un puits.
J’aimerais savoir à quel endroit se trouvait ce puits, à quel endroit ce crime a été commis, et aller fumer une cigarette, en griller une en honneur du disparu.
Une la nuit, et une autre en plein midi, un jour de marché de préférence. M’aveugler de soleil et de tabac, de nuit et solitude en honneur de cet homme qui demeure pour trop un inconnu, toujours au fond d’un puits et sans visage. Avec son envie de fumer et son envie de vivre.
L’eau, l’autre et la guerre -Editions Usine Utopik, 2012
Voilà les faits. La mer est belle et cogne mollement contre une plage endormie, ce bruit est agréable. On est près de Bayeux, sur une des plages du Débarquement, et on voit les fortifications du prétendu «Mur de l’Atlantique», puis une écolière qui s’avance évidemment comme une colombe, puis tout un groupe d’écoliers, d’écolières. Elles sautillent sur les ruines de ces fortifications et les garçons marchent sur ces ruines en explorateurs, se mettent à courir et inopinément s’arrêtent, pensifs.
Soudain, derrière des arbres, le groupe disparaît et on ne voit que la mer immense.
Un peu plus tard il y a trois jeunes filles, presque des enfants, qui rentrent dans l’eau, qui chantent et qui rient. L’eau doit être froide, le premier bain de la saison les a mis en joie. Ce sont me disais-je les Trois Grâces éternelles, celles que les peintres, de temps en temps, figurent et que les sculpteurs, au cœur du marbre, cherchent peut-être.
J’en parlerai à Xavier, mon ami sculpteur de L’Usine Utopik, je lui dirai c’est vrai, la beauté l’emporte sur la guerre.
L’eau, l’autre et la guerre -Editions Usine Utopik, 2012
Elle s’appelait Emma dans la Résistance, elle était née dans le Jura. Comme elle faisait partie du réseau de Résistance des P.T.T. de Beaucoudray et Saint-Lô, elle est associée dans le souvenir local au groupe de onze Résistants fusillés par les allemands à Beaucoudray, à quelques kilomètres de Tessy-Sur-Vire, le 15 juin 1944. Leur chef, René Crouzeau, avait dit la veille à ceux qui l’interrogeaient : «Nous sommes contre vous».
Emma devait beaucoup aimer la littérature. Avant de prendre définitivement «Emma» comme nom de guerre, elle avait choisi «Mademoiselle Flaubert».
Son nom est Simone Michel-Levy. Elle fut arrêtée par la Gestapo au 24 de la rue Bertrand, à son bureau des P.T.T. à Paris, le 5 novembre 1943 et conduite à la prison de Fresnes. De Fresnes elle fut envoyée au dépôt de Royallieu près de Compiègne, et de là à Ravensbrück le 30 janvier 1944. Le premier septembre 1944 elle faisait partie des six cents soixante-et-une femmes déportées qui arrivèrent à Flossenbürg, en Bavière, dans le Haut-Palatinat. Condamnée à mort pour sabotage, Emma y fut pendue le 13 avril 1945.
La veille de son exécution elle écrivit à sa mère : «Ne pleurez pas, c’est un ordre. Ne soyez pas tristes. Moi je ne le suis pas. Mon cœur est calme autant que mon esprit. Dans ma petite cellule j’interroge le ciel, je pense à tout ce qui est beau, à tout ce qui est clair».
Le premier jour où je suis allé à la bibliothèque de Tessy-Sur-Vire, au cours de ma résidence d’écriture à L’Usine Utopik, en mai 2010, on m’a tout de suite parlé d’Emma. Deux femmes, plus exactement, m’en ont parlé.
Et aujourd’hui je me souviens d’une affirmation de Gustave Flaubert que j’ai lu il y a longtemps : «En France, il y a plus de cent villages où pleure Emma Bovary».
En relisant ce texte je veux le dédier aussi à ma mère, dont le prénom était Francisca-Emma.
L’eau, l’autre et la guerre -Editions Usine Utopik, 2012
Un homme marche le long de la Vire et, entre l’écluse de Bouttemont et le ruisseau Le Heudein, voit surgir la forme gracieuse d’une belle femme qui l’accompagne, sans qu’il s’en aperçoive, depuis l’écluse de Tessy-sur-Vire.
Elle surgit devant lui comme issue des eaux, ruisselante et déjà séchée, souriante et lointaine, nostalgique. Elle si jeune, de quel lointain pays son corps est-il meurtri? Elle si vieille, de quelle jeunesse porte-t-elle la morsure? Ensuite elle ressemble à un arbre, elle est cet arbre si beau et si puissant à l’ombre duquel les moutons somnolent, et tout à coup elle devient oiseau, s’envole de l’arbre et disparaît.
Mais avant de disparaître elle fait un tour sur la tête de l’homme qui marche, lequel porte un chapeau et qui, en se retournant pour voir son envol, ne trouve que son ombre.
Il lui dit :Viens et l’ombre le suit, il avance et lui dit : Je t’aime bien et l’ombre le suit, il lui dit : On va prendre ce sentier et l’ombre le suit. Ils gravissent ensemble une côte prononcée et maintenant ce ne sont que deux ombres recouvertes par celles des grands arbres.
A ce moment intervient un enfant: il dévale la pente en courant et son visage est éclairé par le soleil. Il franchit le ruisseau Le Heudein, il va jusque l’écluse de Bouttemont, il prend une vieille barque peinte en vert qu’on eût dit abandonnée, il saute dessus et se met à ramer. Il suit le cours de la Vire à toute allure, on l’entend éclater de rire, on le voit s’éloigner, et au moment où il va disparaître, car le soleil nous empêchera désormais de le voir, les grands arbres l’adorent et le jalousent.
L’eau, l’autre et la guerre -Editions Usine Utopik, 2012
Il y a un petit cheval, d’une grande beauté, avec une immense tache blanche autour de son encolure, qui paît à l’ombre des arbres, en bas de la montée qui mène au village de Fourneaux.
Je lui demande :Personne ne te voit? -parce qu’il s’est retourné pour me regarder- personne ne te voit et tu es si beau, petit cheval noir avec une immense tache blanche!
Il me regarde et son regard, beau à force d’être ouvert et de demeurer impénétrable, me donne la réponse nécessaire.
Que je dois taire, parce que la beauté s’enveloppe de silence et se nourrit de respect.
L’eau, l’autre et la guerre -Editions Usine Utopik, 2012
Ecrire c’est partir en voyage et les voyages aident à écrire.
On voit quelqu’un, on voit un oiseau, un homme qui s’arrête devant vous, un monsieur très très âgé, blouson chemise et pantalon bleu, qui vous tend la main, qui serre la vôtre et qui vous dit «ça va t’y? » avec un sourire d’une ineffable gentillesse.
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Ensuite il part, ensuite, au village de Fourneaux, une dame qui nettoie les tombes vous demande si vous voulez visiter la chapelle, et tout de suite elle vous dit que comme il faisait frais l’autre jour elle a peut-être attrapé une angine. Mais on s’en fiche de l’angine, elle vous dit cela pour vous offrir ou vous faire cadeau de sa sympathie. Je croyais qu’il faisait beau, je faisais le ménage la fenêtre ouverte et tout à coup j’ai eu froid. Elle sait que vous n’êtes pas d’ici, elle l’a compris tout de suite, elle vous parle de son angine et l’angine, cette petite confidence, est signe d’accueil et d’amitié.
Son sourire le renouvelle, le signe pour ainsi dire, vous tend un chèque de simple humanité, et en quittant le village de Fourneaux, dissimulé par l’ombre des grands arbres, vous voyez un petit cheval noir avec une immense tâche blanche.
Après vous rentrez chez vous et après, à trois heures du matin, vous vous réveillez en sursaut. Vous attrapez un cahier dans le noir, vous allumez la lumière, vous écrivez une micro histoire que la vie vous a donnée. Et vous comprenez, comme Antonio Porchia, le poète argentin, que «la profondeur est aussi superficie» tout comme, par exemple, lorsque quelqu’un vous parle de son angine, vous donne son amitié et oublie les tombes qu’elle nettoie.
L’eau, l’autre et la guerre -Editions Usine Utopik, 2012
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Félix FÉNÉON |
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À Mirecourt, Colas, tisseur, logea une balle dans la tête de Mlle Fleckenger et se traita avec une rigueur pareille.
Nouvelles en trois lignes
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Franz KAFKA |
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Sancho Pança, qui ne s'en est d'ailleurs jamais vanté, réussit au cours des années, en dévorant des histoires de brigands et des romans de chevalerie pendant les nuits et les veillées, à détourner entièrement de soi son démon.
Il fit si bien que celui-ci – qu'il appela plus tard Don Quichotte – se jeta désormais sans frein dans les plus folles aventures : elles ne nuisaient à personne faute d'un objet prédestiné qui aurait dû être précisément Sancho Pança.
Sancho Pança, peut-être mû par certain sentiment de responsabilité, Sancho Pança, qui était un homme indépendant, suivit calmement Don Quichotte dans ses équipées et en tira jusqu'à son dernier jour une grande et utile distraction.
La muraille de Chine
Je suis revenu, j'ai traversé le couloir et je regarde autour de moi. C'est l'ancienne cour de mon père. La flaque d'eau au milieu. De vieux outils inutilisables mêlés les uns aux autres barrent l'accès à l'escalier du grenier. Le chat guette sur la rampe. Un torchon déchiré et jadis employé est enroulé autour d'un bâton et le vent le soulève. Je suis arrivé. Qui va m'accueillir ? Qui attend derrière la porte de la cuisine ? De la fumée sort de la cheminée, on prépare le café du soir. Te sens-tu chez toi, à la maison ? Je ne sais pas, je n'en suis pas du tout sûr. C'est bien la maison de mon père, mais chaque chose se tient froidement l'une à côté de l'autre comme si chacune d'entre elles était occupée avec ses propres affaires que j'ai soit oubliées, soit jamais connues. A quoi puis-je leur servir, que suis-je pour elles, même moi le fils du père, du vieux paysan ? Et je n'ose pas frapper à la porte de la cuisine, reste à écouter seulement de loin, reste debout à écouter seulement de loin pour que je ne puisse pas être surpris en train d'écouter. Et comme j'écoute de loin, je n'entends rien, j'entends juste le léger tictac d'une horloge ou bien je crois l'entendre, revenant des jours de l'enfance. Ce qui se passe dans la cuisine est le secret de ceux qui y sont assis, secret qu'ils me cachent. Plus on hésite devant la porte, plus on devient étranger. Que se passerait-il si quelqu'un ouvrait maintenant la porte et me demandait quelque chose ? Ne serais-je pas moi-même comme un qui veut garder son secret ?
Traduction Laurent Margantin
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Jean-Paul GIRAUX |
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pour en savoir plus sur l'auteur | ||
Il faut qu'un parapluie soit ouvert ou fermé.
Fermé, il attend patiemment dans l'oubli de quelque coin obscur, replié sur lui-même et cachant sa vraie nature sous un air toujours emprunté ou perdu.
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Il est de l'étoffe de ceux que l'inaction dessèche et racornit.
Ouvert il a ‒ fort heureusement ! ‒ bientôt fait de se recomposer en tendant toute son énergie. On le voit alors sortir de partout front baissé contre l'averse, puis se hâter sur les trottoirs, porté par deux pieds qui pataugent, ou bien encore se rassembler dans les cimetières pour pleurer autour des tombes.
Mais qu'on y prenne garde! Cette activité et cette sentimentalité débordantes n'en font pas pour autant un compagnon fiable en toute circonstance.
Comme le ciel, il est d'humeur souvent capricieuse.
Et chacun pourra le vérifier à ses dépens: il n'y a guère que la veste des hommes politiques pour se retourner plus facilement qu'un parapluie par gros temps.
Le chimpanzé de Rio, Editinter 2009.
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Il aime qu'on lui tape dessus.
Il a la tête bien faite pour ça, ronde ou plate comme celle d'un petit homme. Sa nature le veut ainsi et, en principe, il retire quelques satisfactions à s'y conformer.
En fait, inutile de se le cacher, le clou n'est pas pour autant facile à vivre. Son inflexibilité apparente ne lui interdit nullement un comportement trop souvent retors que les observateurs les mieux disposés attribuent à un caractère foncièrement ombrageux.
Une hésitation, un coup mal asséné, retenu ou biaisé, et le voilà sous nos yeux qui se plie et s'effondre en feignant la douleur comme un footballeur se laissant tomber dans les dix-huit mètres à la recherche d'un penalty.
Dans un corps droit, un esprit tordu !
Le chimpanzé de Rio, Editinter 2009
Nostalgies
J'adore voyager en TGV. L'autre jour, le mien s'est arrêté en pleine campagne, sans raison évidente, sinon pour le plaisir.
Le conducteur est aussitôt descendu pour aller le pousser, à en juger par la vitesse à laquelle on est reparti.
Ce fut le bonheur ! En fermant les yeux, on pouvait se croire dans un train d'autrefois sentant le saucisson et le camembert et qui, avec une sage lenteur, déroulait ses paysages monotones devant de hautes et larges fenêtres.
À Bourg-en-Bresse, où nous avons fini malheureusement par arriver, une pluie glacée nous attendait et nous avons attendu avec elle, bien conscients que le TGV avait, pour cette fois, épuisé ses enchantements.
Alors, on nous a fait entasser nos nostalgies sur les douloureuses banquettes d'un train de remplacement prêté par un collectionneur. Mais le cœur n'y était plus et nous sommes arrivés à Genève avec seulement une heure de retard.
Et du soleil.
Dites-moi, du progrès, quels sont exactement les symptômes ?
Le chimpanzé de Rio, Editinter 2009
Les anglais
Wembley, le 10 férier 1999
Angleterre : 0 - France : 2
On me le reproche quelquefois : j'ai un souci maladif de l'objectivité.
Par exemple, sous la torture, un revolver sur la tempe ou devant un peloton d'exécution, rien ne m'empêchera de reconnaître que les Anglais sont les rois de la marmelade d'orange, les champions du monde toutes catégories de cette spécialité.
Eux seuls, je le proclame, savent lui conférer cette amertume aristocratique propre à satisfaire les palais les plus exigeants, les papilles les plus délicates. Et quand, au hasard d'une dégustation, je rencontre un zeste d'orange délicieusement confit, je sais que les Anglais élèvent leur pratique aux limites célestes d'un art.
Évidemment, ce n'est pas comme au football où ils viennent de se faire battre à Wembley par l'équipe de France sur un score humiliant et sans appel.
A cette occasion, on aura raison de parler de déconfiture.
Le chimpanzé de Rio, Editinter 2009
Samarkand
Au risque de vous décevoir, il me faut bien admettre aujourd'hui que je ne suis jamais allé à Samarkand.
J'en avais les moyens et j'aurais pu trouver, en dépit des distances, un possible créneau dans mon emploi du temps.
Il s'agit quand même, ne l'oubliez pas, de la ville de Tamerlan, le célèbre boiteux au cœur de fer, et Omar Khayyâm y séjourna. Cela m'aurait fait des souvenirs et j'aurais même pu écrire, au retour, des vers presque aussi ennuyeux que ceux de votre cher Edgar Allan Poe.
Mais pourquoi irais-je marcher dans les ornières dépourvues d'eau de cette ville où il ne pleut pas, me mêler de son délabrement, longer les murs tagués de ses usines, respirer ses fumées âcres?
Alors que je peux rêver de Samarkand sur la seule beauté de son nom.
Le chimpanzé de Rio, Editinter 2009
Le vieux poirier
à Paul
Il s'agissait de supprimer le vieux poirier mangé de lierre et dont les hautes branches malades menaçaient la cabane aux outils.
Pour les arbres, on n'utilise ni la guillotine ni la chaise électrique, pas même le poison ou le revolver comme on le voit dans le crimes passionnels, mais la tronçonneuse dont les échos annoncent à la terre entière le sanglant sacrifice.
La nécessité ne se discute pas.
Le grand arbre fut bientôt à terre et débité en un tas de bûches soigneusement calibrées pour la cheminée, où, dans deux hivers, je verrai flamber, dernier fruit de l'automne, la belle âme enluminée du bois.
Le chimpanzé de Rio, Editinter 2009